L'ayahuasca : potion magique ou potion tragique ?
Cet amer breuvage, sacré pour les Amérindiens, suscite à la fois engouement et polémique dans le monde occidental. Les autorités considèrent l'ayahuasca comme un stupéfiant psychédélique et hallucinogène, et l’ont de ce fait étiqueté d’illégal. Pourtant, lorsqu'elle est bien utilisée, l'ayahuasca peut avoir des vertus insoupçonnées pour la santé. Quelles sont-elles ?
En médecine traditionnelle, on considère les plantes comme des véhicules qu’on ne peut pas tenir pour responsables des accidents causés par le mode de conduite de leurs conducteurs inconscients et/ou inexpérimentés. Pour les chamans, il n’est point besoin de remuer ciel et terre désespérément (comme nous le faisons malheureusement trop de nos jours) pour trouver des réponses magnifiques, surtout en soi-même.
Si on lui fait confiance, la vie se charge de mettre les bonnes choses au bon moment sur notre chemin.
Notre responsabilité réside dans le fait d’accueillir le bon et le prospère avec curiosité, tout en gardant un esprit critique. C’est ainsi qu’il y a quelques années, à l’occasion d’un congrès mondial de la Ligue homéopathique, j’ai été hébergé "par hasard" chez des amis d’amis à Rotterdam. Depuis mon adolescence, j’ai toujours ressenti une profonde connexion avec les Amérindiens, et la forêt amazonienne en particulier. Ainsi, quand j’ai découvert les très nombreuses photographies d’indiens d’Amazonie à Rotterdam, cela a immédiatement aiguisé ma curiosité. J’ignorais alors que la vie m’avait conduit dans la Maison de l’ayahuasca des Pays-Bas, où le breuvage était autorisé à l’époque.
Une plante réservée aux initiés (à utiliser avec prudence)
L’ayahuasca est un breuvage composé à partir de 12 types de lianes. De 9 kilos d’écorce de vigne de l’espèce Banisteriopsis caapi, on extrait 1 litre de jus. Puis on le mélange à des feuilles de sept autres espèces d’arbustes, notamment le chacruna (Psychotria viridis), qui contient la très controversée diméthyltryptamine (DMT*). À cela, on ajoute parfois d’autres fruits comme le tenori, le tabac, la coca ou le wenk.
* : La DMT est une substance psychotrope très puissante.
Rituel magique ou tragique ?
Tout dépend si vous êtes prêt et encadré
Les rituels chamaniques et les cérémonies religieuses peuvent être effectivement très longs et éprouvants. Un tel rituel se prépare au niveau corporel grâce à une diète dépourvue de viande, de sel et de sucre, ainsi qu’à l’abstinence sexuelle, et au niveau spirituel par une décoction de tabac, de sauge purificatrice et autres plantes.
Quelqu’un qui absorbe ce breuvage sacré sans préparation peut en effet être sujet à des visions cauchemardesques avec une impression de mort imminente et inéluctable, à des vomissements ultraviolents et à des spasmes corporels, surtout si la pratique est autoritaire et dépourvue d’amour et de joie. C’est la raison pour laquelle il est impératif de vivre cette expérience avec un chaman digne de confiance et compétent, sachant fournir l’encadrement et l’accompagnement indispensables pour que la cérémonie se déroule dans la sérénité.De plus, la pratique est formellement déconseillée aux personnes ayant des antécédents de psychose, de bipolarité ou étant sous médication car elles pourraient être gravement déstabilisées (peur panique, impression d’être perdu…).
Défenseurs et accusateurs de l’ayahuasca rivalisent d’arguments pertinents en faveur de son usage médical ou de son interdiction totale. Beaucoup de ses détracteurs la voient avec condescendance. En ce qui me concerne, ma devise est : "Ni pour, ni contre, par contre ! " Je m’explique. La prudence est incontestablement de rigueur et le premier touriste occidental venu à Iquitos, au Pérou, la Mecque de l’ayahuasca, ne peut s’autoproclamer chaman et faire un business malhonnête, par ailleurs très lucratif, pouvant compromettre la santé et la sécurité du grand public. Pourtant, des gens peu scrupuleux organisent des tournées mondiales de chamans, loin d’être respectueuses, des femmes en particulier ! Sur des milliers d’utilisateurs dans le monde, quelques conséquences tragiques ont été rapportées. Mais peut-on scientifiquement imputer uniquement à ce breuvage les meurtres, les suicides, les viols, les abus sexuels, les abus de pouvoir ou les décompensations psychiatriques observés concomitamment à son usage ? Les hommes et les femmes qui commettent de tels actes - avec ou sans l’ayahuasca - sont évidemment à arrêter de toute urgence !
Vers un usage médical de l’ayahuasca ?
En médecine corporelle, il pourrait en être fait usage car l’ayahuasca faciliterait les guérisons spontanées. Même en soins palliatifs, elle pourrait être une alternative heureuse à la morphine, qui entraîne à long terme l’arrêt respiratoire.
Une de mes patientes, atteinte d’un cancer du sein avec plusieurs métastases, a été hospitalisée d’urgence en soins palliatifs. Elle prenait une microdose d’ayahuasca tous les jours et, surprise, elle n’est pas décédée précocement comme la moyenne des patients atteints de cancer ! Au contraire, elle a survécu trois mois intenses. Ainsi, elle a demandé de mentionner sur son faire-part de décès : "Nettoyeuse de source". Grâce à l’ayahuasca, elle a passé toute sa vie en revue, elle a pardonné et a demandé le pardon. Elle était tellement rayonnante que les infirmières venaient parler avec elle pour se ressourcer et se nourrir de cette sagesse inestimable ! L’ayahuasca ne l’a pas guérie de sa pathologie mais lui a apporté la sérénité et la paix.
Si on voit l’ayahuasca comme un médicament, il est clair que sa prescription en Occident devrait être réservée aux médecins, à condition qu’ils soient formés auprès de véritables chamans reconnus en Amérique du Sud et que son usage soit strictement réglementé. Notre pharmacopée occidentale comprend des milliers de médicaments dont l’usage provoque des maladies iatrogènes, soit la deuxième cause de mortalité… en toute légalité. Nous pouvons donc constaté qu’on est face à deux poids, deux mesures.
Communiquer avec tous les êtres vivants grâce à l'ayahuasca
L’avertissement étant fait, venons-en à présent aux vertus médicinales de l’ayahuasca. Au Pérou, l’ayahuasca est reconnue comme patrimoine culturel immatériel. Au Brésil, elle fait partie de la pharmacopée traditionnelle ; c’est même un élément de culte dans la religion Santo Daime, fondée par le maître Irineu, descendant d’un esclave africain. En 1979, un groupe d’ethnobotanistes et de professeurs de mythologie créent le néologisme "enthéogène" pour qualifier les substances traditionnelles psychotropes qui permettent d’entrer en transe* (gene) et de connaître des états mystiques ou extatiques (entheos).
L’anthropologue Jeremy Narby, auteur du livre Le Serpent cosmique, a passé des années dans la forêt péruvienne auprès des Ashâninkas, dont le plus connu est Benki Pianko. Il fut intrigué par le fait que leur connaissance phénoménale des vertus des plantes, entre autres, leur soit directement communiquée par elles sous la prise d’ayahuasca. En tant qu’homéopathe, le fait de pouvoir communiquer avec les créatures des 8 règnes du vivant a bien évidemment retenu toute mon attention, afin d’élargir la pharmacopée homéopathique sans plus devoir faire d’expérimentation de nouveaux remèdes sur les personnes volontaires supposées saines.
* Induction d'un état modifié de conscience.
Un sevrage contre les plus sévères addictions
J’ai également interrogé minutieusement tous mes patients ayant fait l’expérience de la prise d’ayahuasca avec de véritables chamans. Car qui ne tente rien n’a rien ! La première chose étonnante est qu’elle permet aux toxicomanes graves (drogues dures, tabac, alcool, médicaments…) de se sevrer définitivement. C’est d’ailleurs à cet effet que le psychiatre français Jacques Mabit a créé le centre Takiwasi au Pérou, premier centre au monde de traitement de la toxicomanie avec l’ayahuasca. C’est aussi le site principal du projet international de recherche ATOP (Ayahuasca Treatment Outcome Project) dirigé par le docteur Brian Rush du Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH) à Toronto pour valider l’efficacité de l’ayahuasca dans le sevrage des dépendances.
Transcender les traumatismes pour expérimenter la joie
Cependant, les plantes amazoniennes ne pouvant être brevetées, les firmes pharmaceutiques ne subventionnent pas ce genre de recherches (qui ne leur rapportent rien). Néanmoins, aux États-Unis et même en Europe, des groupements de médecins et de chercheurs militent pour la légalisation et l’obtention de fonds de recherche afin d’évaluer scientifiquement et objectivement la thérapie psychédélique.
Ceux qui ont vécu l’expérience de l’ayahuasca avec beaucoup d’humilité, tout en étant bien préparés et accompagnés, rapportent tous des bienfaits incroyables. La prise d’ayahuasca est une intense expérience, initiatique et mystique, de "mort à ce qu’on n’est pas", et finalement une quête personnelle de vision de "qui on est vraiment". Elle bouleverse les croyances et les certitudes, reconnecte à la vie et éveille des sentiments d’amour extraordinaires envers toutes les créatures, de confiance en la vie, de légèreté, de joie, de force et de spontanéité. L’ayahuasca permet de désocculter les traumatismes refoulés et de guérir les syndromes posttraumatiques (agression, stress, etc.) pour porter un éclairage guérisseur nouveau, en pleine conscience et sereinement, sur ce qui nous a posé ou nous pose encore problème.
L'ayahuasca légale existe en homéopathie
Pour pouvoir faire les choses en toute légalité, des homéopathes - dont une de mes élèves, qui est aussi psychiatre - ont fait fabriquer par un pharmacien un remède homéopathique dilué et dynamisé dépourvu de DMT, et donc sans effet psychotrope.
Les homéopathes ont montré au cours des trois derniers siècles à la suite d’Hahnemann qu’une subs- tance qui était capable du pire - les hallucinations, les réactions violentes, les vomissements, les spasmes, etc. - était aussi capable de révéler le meilleur. Si les autorités politiques et scientifiques nuançaient leur vision de l’ayahuasca, ce remède pourrait à l’avenir permettre en médecine de développer notre sensitivité à l’égard de tous les êtres vivants, afin de coopérer à notre guérison tous ensemble.
Un thé amazonien au secours de vos neurones ?
Face aux défis que rencontre la médecine moderne à ce jour, le miracle pourrait-il venir d’une plante ancestrale chamanique ? Une étude parue en septembre 2020 dans le Translational Psychiatry montre que l’ayahuasca, un mélange traditionnel de plantes connu pour ses effets psychotropes et utilisé dans les rituels chamaniques ancestraux, pourrait avoir des effets bénéfiques dans le traitement des maladies neurodégénératives et psychiatriques.
Les chercheurs ont étudié les propriétés de la diméthyltryptamine (DMT) que ce mélange renferme, une molécule hallucinogène connue pour sa capacité à activer certains récepteurs à sérotonine, procurant une intense sensation de bien-être. En outre, cette molécule serait capable d’assouplir certaines régions du cerveau et d’activer la neurogenèse (croissance des cellules neuronales). En un mois, les chercheurs ont observé sur 24 souris une amélioration de la mémoire. Sachant que la neurogenèse est le processus inverse même des maladies neurodégénératives telles qu’Alzheimer ou Parkinson, ils supposent que l’ayahuasca pourrait prévenir, du moins ralentir l’avancée de ces pathologies. Toutefois, inutile de préciser que le statut illégal en France de la DMT ne permet ni de le vérifier, et encore moins de l’expérimenter. C’est bien dommage et étonnant.
Source : Morales-Garcia, J.A., Calleja-Conde, J., Lopez-Moreno, J.A. et al., "N,N-dimethyltryptamine compound found in the hallucinogenic tea ayahuasca, régulâtes adult neurogenesis in vitro and in vivo", Translational Psychiatry 10, 331 (2020). https://doi.Org/10.1038/s41398-020-01011-0.
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